« Je vais l’entraîner jusqu’au désert et lui parlerai coeur à coeur »
Un article de Laurent Guillon Verne pour Terre Sainte Magazine
Israël & Palestine - Pèlerinage
Rejoindre dés son arrivée le désert, c’est certes entrer dans la pédagogie divine qui nous fait découvrir l’errance des Hébreux avant leur entrée en Terre Promise, mais c’est aussi pour chacun faire la transition entre nos vies trépidantes et l’expérience du pèlerin.
Qui n’a rêvé de partir pour ces espaces infinis où le regard se perd. Couleurs ocres et brunes, lisses comme une plage de sable fin ici, roche rouge ou ambre là-bas, Le désert est comme un océan. Devant nous, il nous appelle, il nous invite au large.
C’est une tradition plutôt française de commencer le pèlerinage par cette expérience du désert. Étonnamment, si nous en profitons pour visiter quelques lieux d’Histoire, (Beersheva, Avdat, Shivta, Mamshit…) et nous rappeler les transhumances et les implantations humaines, c’est plus une expérience que nous venons y chercher. Comme le dit Antoine de Saint-Exupéry : « J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence… ». Le silence ! voilà donc une étrange invitation pour commencer un pèlerinage… Arrivant de France ou d’ailleurs, il faut s’immerger dans le désert comme le ferait un sous-marin en pleine mer, par paliers.
Vers le dépouillement
C’est que nous sommes des être bruyants extérieurement et intérieurement. Sans doute, le désert, par son côté hostile, par la marche, au fil des heures puis des jours, invite chacun à descendre en lui-même. Après plusieurs jours, c’est l’expérience d’une traversée qui s’opère. Plus le groupe avance, plus la simplicité s’installe, et le guide ou les bédouins deviennent des compagnons (ceux avec qui on partage le pain). On apprend peu à peu à lire les signes de la nature : l’orientation du vent et des dunes, les passages dangereux à éviter, les faux lieux de repos, les scorpions qui au matin se nichent dans les chaussures, la flore qui reprend vie à la moindre goutte d’eau. Vous marchez, le regard se repose, l’ouïe se laisse pénétrer par le silence, la chaleur vous envahit. L’imagination, le cœur, les pieds, le corps y sont emportés ; c’est presque angoissant, vertigineux. Il faut accepter de ne pas résister, accepter de traverser. Le désert accroît le sentiment de la précarité. Dans le désert il faut savoir sur qui compter : sur soi-même un peu, sur son guide (!) et probablement sur Dieu. Ce « probablement » n’instille pas le doute, mais évoque le temps jamais achevé du dépouillement. Les questions existentielles se posent : ma relation à l’autre, à moi-même, à Dieu. Le désert devient un lieu de relecture, et la transposition au plan spirituel se fait plus spontanément. Les passages de la Bible évoquant le désert sont nombreux et nous en goûtons d’autant plus le sens. Comme le jour où vous croisez un plein désert un troupeau de moutons et son berger et que le Psaume 22 vous revient en mémoire : « le seigneur est mon berger, je ne manque de rien ». À l’exemple de nombreux mystiques, nous faisons l’expérience, au-delà de l’apparent ennui, qu’une parole divine s’y trouve secrètement cachée.
« Le désert c’est Dieu, et le silence sa parole », dit un proverbe touareg ; en hébreu le mot désert ressemble au mot parole. Les grands spécialistes de l’hébreu reconnaissent une sorte de jeu de mots dont cette langue est coutumière : les deux mots font entendre les mêmes consonnes DBR. Quand Dieu dit « je la conduirai au désert (MiDBaR) et je lui parlerai (DibBaRti) au cœur » (0s 2, 14), une sorte d’écho s’opère.
Parce que nous nous sommes « vidés », nous sommes sans doute plus enclins à écouter, et la Parole de Dieu s’écoule en nous.
Le geste
Pour faire mémoire de ce temps dans le désert nous pourrions à notre tour construire des « béthels » comme pour marquer notre passage : Abraham qui y contruit un autel, tandis que Jacob y voit en songe une échelle qui s’élève jusqu’au ciel. Bien-sûr, il n’est pas possible aux groupes se rendant dans le désert de laisser ainsi leur marque au risque de dénaturer ce qui nous est donné. En revanche, en invitant le pèlerin à garder dans sa poche une petite pierre, ce sera comme « le petit caillou dans la chaussure ». Ça énerve ! il n’est ni beau ni utile et il peut symboliser tout ce que je veux laisser au désert. Au bout de quelques jours, au moment de célébrer l’eucharistie, toutes ces petites pierres peuvent être déposées au pied de l’autel. Dans le désert elles pourront même faire partie intégrante de l’autel monté en plein air. Symbole de notre humanité, de ce que nous offrons et de ce que nous laissons, afin de se rappeler de « la promesse » faite au désert et que notre Terre Promise est le lieu dans lequel nous vivons.
Laurent Guillon Verne, Terre Sainte Magazine, n° 674, pages 16-17
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