De la Pâque de Moïse à la Pâque de Jésus
Un article de Laurent Guillon Verne pour Terre Sainte Magazine
Jordanie
Prendre la route de l’Exode ou plutôt « faire » la route de l’Exode !
C’est l’expression qui nous vient à l’esprit à l’idée d’un pèlerinage en Jordanie, le pays de Moab et d’Édom dans la Bible.
Bien entendu, cela entend que nous allons parcourir (l’exode) la route du peuple hébreu jusqu’au lieu de la mort de Moise et au passage de Josué au Jourdain. Et certes, nous découvrirons ce superbe pays aux paysages contrastés (les montagnes du Nord, le désert du Wadi Rum au sud, les splendeurs mystérieuses de Pétra, la mer Rouge…) et aux habitants chaleureux, dignes et fiers de leur histoire, mais pour autant aurons-nous fait un pèlerinage ?
Dès lors se pose une question essentielle : comment faire pour transformer une démarche aux aspects culturels majeurs en un démarche de pèlerinage ?
Sans doute, il est bon de commencer à pèleriner dans le désert du Wadi Rum, et de se mettre à l’écoute des 3 vies de Moise (mort à 120 ans – Dt 34, 7), chacune durant 40 années : à l’écoute de l’école de Pharaon, à l’écoute de l’école du désert, à l’écoute du service de YHWH pour prendre conscience des exodes de nos existences qui ne sont pas des errances, mais de vrais déplacements dans l’espoir de trouver un lieu où poser sa tête, avec le déchirement de ce qui est laissé derrière soi.
En marchant ou en demeurant dans la chaleur et le silence du désert nous pourrons traverser, approfondir notre relation à « la Loi » et à « la Foi », au 10 Débarim et aux 9 Béatitudes. Dans le désert, et par la marche, les certitudes tombent, les fragilités se manifestent. Heureux désert du Wadi Rum sans connexion internet… Là ou cela ne posait pas de problème, il y a une vingtaine d’années, nous voyons combien nous en sommes devenus dépendants de nos connexions et combien cela peut nous empêcher de prendre le recul nécessaire à la découverte de la « terre promise » qui s’offre à chacun d’entre nous.
Dans le Wadi Musa (la vallée de Moïse) la cité de Pétra, et son étendue de 30 km2, nous invite à méditer sur les nombreux échanges entre grandes civilisations et sur l’importance de l’eau et de sa domestication. Il faut sortir des sentiers battus pour comprendre la réalité de Pétra, éviter les flux de touristes et leurs selfies égocentriques. Si l’on passe plusieurs jours sur place, il est possible de marcher vers le mont Hor, communément appelé le Jebel Haroun (le mont Aaron) qui est un lieu de pèlerinage pour les juifs et les musulmans. La vue à 360° au sommet (1396 m) se mérite : plusieurs heures de marche se terminant par un escalier d’une centaine de marches. La lecture de la mort d’Aaron (Nbre 20, 22-29) sur le toit du mausolée, et le silence pour laisser résonner le texte sous le soleil sont source de contemplation et d’émotion que ce cadre exceptionnel fait naître.
Faire mémoire
Ces journées passées dans la réserve naturelle de Pétra, taillée dans un grès aux multiples couleurs, et dans certaines vallées verdoyantes pleines de lauriers roses, nous font progresser dans la lecture des livres de l’Exode, des Nombres, du Deutéronome : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? » (Dt 8,2). Il sera aussi possible de célébrer l’eucharistie au cœur des vestiges de l’église Byzantine qui fut détruite au VI° siècle, lieu ouvert sur l’extérieur qui attire le regard et l’attention des touristes et des enfants habitants de la cité, occasion d’échanges et de rencontre.
En remontant la route des rois vers Amman, nous nous inscrivons dans la longue tradition caravanière d’une multitude qui nous a précédés : commerçants, pèlerins (chrétiens et musulmans) et le peuple hébreu découvrant les monts de Moab. Trois tribus (Ruben, Gad, Manassé) vont d’ailleurs s’y installer. La route est jalonnée de lieux de mémoire où faire une halte : les ruines de la forteresse hérodienne de Machéronte, lieu de la décollation de Jean-le-Baptiste ; Kérak, bastion croisé ; Madada et sa fameuse mosaïque du VI° siècle représentant la carte de la Palestine ; Béthanie au-delà du Jourdain, lieu du baptême de Jésus par Jean-Baptiste mais aussi lieu de passage de Josué avec le peuple Hébreu (Jos 3) et montée au ciel d’Élie au Jourdain ( 2R 2, 1-18).
À l’occasion dans cette remontée vers Amman, organiser une rencontre des communautés chrétiennes de Transjordanie, de Jérash, de Madaba ou d’Amman permet d’enraciner notre pèlerinage non seulement dans les textes et les sites mais aussi dans les pierres vivantes !
Au Mont Nébo, lieu où l’on évoque la mort de Moïse face à la terre promise, il est bon de prendre le temps pour contempler, célébrer, et faire sienne la conclusion de la prière universelle de la « messe de Saint Moïse » : « Seigneur, toi qui nous as guidés jusqu’ICI, pour célébrer le joie de la libération de l’esclavage, et la beauté de l’engagement de la liberté ; fais que nous puissions renouveler notre écoute et notre foi en l’Évangile. Par Jésus Christ notre Seigneur. »
Laurent Guillon Verne
Terre Sainte Magazine, n° 681, septembre-octobre 2022, pages 12-13
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