L’abbaye Saint-Michel-de-la-Cluse, de l’histoire à la légende
Un abbaye bénédictine romane dans le Piémont
Turin
Une fois passé le tunnel de Fréjus, la traversée du val de Suze se poursuit sous la veille de l’impressionnante abbaye Saint-Michel-de-la-Cluse, belvédère austère et redoutable qui depuis le Xème siècle domine à 962 mètres un à-pic vertigineux.
Dès le pied de la forteresse, là où la pierre taillée et la roche se confondent, l’imagination prend le pas sur le monde rationnel. On comprend où Umberto Eco, natif d’Alexandrie dans la région de Turin, a puisé l’univers de son premier roman, le polar médiéval Le nom de la rose et il m’est impossible d’éviter l’image du moine dominicain Guillaume de Baskerville accompagné de son secrétaire Adso de Melk marquant une pause inquiète devant la monstrueuse abbaye.
J’emprunte la longue route en lacets et, dans le confort de ma voiture, j’ai une pensée compatissante pour les moines et les pèlerins des temps anciens qui suaient au rythme de leurs prières essoufflées sur les pentes rocailleuses pour rejoindre enfin le sanctuaire. Au détour d’un virage, surplombant les chênes et se découpant sur le ciel, ma destination… La montée est interminable et l’impatience me ronge… Ma voiture garée, je prends le chemin piétonnier qui mène à l’Escalier des Morts sous lequel jadis étaient enterrés les moines les plus prestigieux. En son sommet, le Portail du Zodiaque s’ouvre sur une abbatiale lumineuse qui conserve de belles fresques médiévales. C’est l’un des plus importants ensembles d’architecture romane d’Europe. Les ruines de l’abbaye dont la légendaire tour de Bell’Alda (du nom d’un beau jeune homme qui se serait jeté du haut de la tour pour échapper à des assassins et aurait été secouru par des anges) rappellent les dévastations de l’incendie du 24 janvier 2018. Si les 10 000 volumes de la précieuse bibliothèque ont pu être épargnés, la présence de ces vestiges me ramènent confusément au roman d’Umberto Eco et à l’incendie final de la bibliothèque cauchemardesque où toute l’organisation des livres était pensée pour dérouter et dissuader le lecteur, voire pour l’empoisonner s’il parvenait, malgré les obstacles, à dénicher l’ouvrage interdit. Une nouvelle du recueil Fictions de l’écrivain Jorge Luis Borges a pour titre la bibliothèque de Babel. Celle-ci renferme dans un labyrinthe tous les livres déjà écrits et tous les livres à venir. Umberto Eco développe une théorie semblable : l’enfermement du savoir.
Fiction et réalité s’entremêlent et je ressens un vague malaise face à l’aura sombre qui enveloppe ces ruines désolées, tellement évocatrice du combat perdu d’un homme, Guillaume de Baskerville, contre l’obscurantisme.
L’abbaye a été fondée par Hugues de Montboissier, un riche pénitent auvergnat du 10ème siècle, au retour d’un pèlerinage à Rome où il s’était rendu pour se faire pardonner ses nombreux péchés. Sur la recommandation du pape, il s’engagea à fonder un monastère et acheta une terre sur le mont Pirchiriano sur laquelle se trouvait un oratoire construit par l’ermite Giovanni Vincenzo (à la demande de l’archange saint Michel qui lui était apparu).
Halte sur la via Francigena, la route du pèlerinage médiéval qui relie Cantorbéry à Rome, « la Sacra di San Michele est également située au niveau de la mystérieuse ligne imaginaire qui unit sept monastères, de l’Irlande à Israël. Cette ligne est connue comme étant la ligne sacrée de l’archange saint Michel.
Cette ligne sacrée marque, selon la légende, le coup d’épée que le saint a infligé au diable pour envoyer le Malin aux Enfers après une bataille apocalyptique. Chacun des sept monastères qui traverse cette ligne sacrée est dédié à saint Michel. » ¹
Voyageur, si vous rendez dans le Piémont, n’hésitez pas ! Rendez-vous à la Sacra San Michele. Vous vous immergerez dans un monde où vérités historiques et légendes s’entretissent si bien que l’impression de mystère vous accompagnera longtemps après votre visite.
¹ Aleteia, Alvaro Real et Carolin Becker, publié le 26/01/2018
Alain Deblock